top of page

Clarifier l'ambiguïté

(le A de VUCA) : La vérité n’est jamais le résultat d'un seul point de vue ou d'une seule perception.

Cette assemblage de photos d’illusion d’optique et de double sens d’une phrase sont des exemples simples de l’ambiguïté. Ils permettent de comprendre comment dans une situation ambigue, deux personnes peuvent percevoir la situation de façon différente et sans même concevoir que quelqu’un la perçoit différemment. Contrairement à l’incertitude, toutes les informations sur la situation sont disponibles mais nos filtres nous montrent une facette de la situation.

Selon Philippe Silberzahn, l’ambiguïté caractérise ce qui est susceptible de recevoir plusieurs interprétations. L’une des conditions de l’action humaine est d’interpréter ce que nous observons dans notre environnement. Il s’agit de lui « donner un sens »….Cette démarche d’interprétation est étroitement liée à l’identité de l’acteur: nous interprétons en fonction de ce que nous sommes. Ce qui est ambigu pour un acteur peut être clair pour un autre, et deux systèmes peuvent être interprétés différemment: Ainsi, les américains interprétaient l’insurrection Viet-Min comme un complot communiste tandis qu’ils auraient pu la voir comme un mouvement nationaliste utilisant le communisme comme langage fédérateur.


Pour illustrer cela, je vous propose cette belle métaphore, que j’avais découvert dans le livre de Frédéric Lenoir (L’âme du monde) dans une version différemment écrite.

Les aveugles et l’éléphant :

Un jour de grand soleil, six aveugles instruits et curieux, désiraient, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir. Le premier s’approcha de l’éléphant, et près de de son flanc vaste et robuste, Il s’exclama : « Dieu me bénisse, un éléphant est comme un mur ! ». Le deuxième, tâtant une défense s’écria « Oh ! Oh ! rond, lisse et pointu!, selon moi, cet éléphant ressemble à une lance ! ». Le troisième se dirigea vers l’animal, pris la trompe ondulante dans ses mains et s'écria : « Pour moi, l’éléphant est comme un serpent ». Le quatrième tendit une main impatiente, palpa le genou de l'éléphant et décida qu’un éléphant devait ressembler à un arbre ! Le cinquième ayant touché par hasard l’oreille de l'éléphant, dit : « Même pour le plus aveugle des aveugles, cette merveille d’éléphant est comme un éventail ! »

Le sixième chercha à tâtons l’animal et, s’emparant de la queue qui balayait l’air, perçu quelque chose de familier : « Je vois, dit-il, l’éléphant est comme une corde ! »

Les 6 aveugles discutèrent longtemps avec passion, chacun défendant sa perception de ce que pouvait être un éléphant. Ils avaient bien du mal à s'entendre. Un sage qui passait par là les entendit se disputer et demanda : « Que se passe t-il quel est l'objet de vos échanges si passionnés ? » « Nous n'arrivons pas nous à mettre d’accord sur ce que peut être un éléphant, et à quoi il peut ressembler ! » Chaque aveugle expliqua sa perception de ce que pouvait être un éléphant.

Après avoir écouté chaque aveugle, le sage dit : « Vous avez tous dit vrai ! Si chacun de vous décrit l’éléphant de façon si différente, c’est parce que chacun a touché une partie différente de l’animal. L’éléphant a réellement les caractéristiques que vous avez tous décrit. Et si vous rassemblez l'ensemble des caractéristiques de ce que vous avez données, vous pouvez avoir une représentation de l'animal dans son ensemble»

« Oooooooh ! » s'exclama chacun. Et la discussion s’arrêta net ! Ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité, car chacun détenait une part de vérité, et heureux d'avoir contribué à la construction d'une réalité plus grande, une réalité plus grande que la seule addition des caractéristiques apportées par chaque aveugle.

La vérité n’est jamais le résultat d'un seul point de vue ou d'une seule perception.


Pour le relier aux évènements inédits de ces derniers mois, voici un extrait d’un article de libération « Au-delà d'une vision confinée du cerveau humain »*:

L’information est l’essence même de notre cognition. Notre cerveau produit en permanence du sens à partir du flux d’information qui lui parvient. Pour naviguer de manière adaptée dans un monde en perpétuelle mutation, nous sommes dotés d’un ensemble de stratégies cognitives. Loin d’être des défauts, ce sont au contraire des atouts inestimables. Par exemple, prêter plus d’importance à des informations nouvelles, pouvant mener à un biais de récence, nous permet de repérer rapidement les changements et d’appréhender l’incertain.

Notre cerveau est aussi outillé pour faire sens de notre environnement social. Contrairement aux idées reçues, nous sommes loin d’être crédules. Estimant qu’elles sont moins susceptibles de nous induire en erreur, nous accordons spontanément plus de confiance aux informations reçues de sources différentes, ou celles relayées par nos proches. Au cours de notre évolution, de tels outils cognitifs se sont révélés aussi simples qu’efficaces pour résoudre des problèmes complexes comme la coordination et la cohésion sociale ; à l’origine de notre extraordinaire capacité à agir collectivement.

Au final, l’information n’a pas de qualité en soi, c’est la conjonction entre le type d’information reçu et la nature de nos processus cognitifs qui va façonner nos comportements. Plus l’information que nous recevons sera difficile à traiter par notre cerveau, plus nos réactions risquent d’être inappropriées. Et c’est d’autant plus vrai lorsque les conditions sont stressantes et que les événements sont inédits et complexes.

Ainsi, lorsque le gouvernement, source crédible car la mieux informée, et responsable de la bonne gestion de la crise, envoie une série de signaux incohérents - comme le maintien des élections municipales après l’exhortation à rester chez nous un dimanche printanier - l’information globale dont nous disposons est pour le moins ambiguë. Un tel niveau d’incertitude laisse une marge d’interprétation importante pouvant induire une variété de réactions différentes, de la décision de ne pas aller voter à celle de ne pas se confiner.

….

Seulement, lors de crises nouvelles, aucun référentiel commun auquel nous pouvons nous référer n’existe encore. En se focalisant sur les biais cognitifs, et en minimisant le rôle déterminant que joue l’environnement dans lequel nous évoluons, nous risquons de surresponsabiliser les individus et d’individualiser la gestion de crise. Il devient donc nécessaire d’observer et de comprendre la situation, plutôt que de juger de la rationalité supposée de certains.

Finalement, partir d’une conception faussée voire orientée de l’humain est susceptible d’aboutir à des prises de décision inappropriées et injustes. Si les sciences cognitives et sociales ne remplacent pas la vie politique, elles doivent cependant y contribuer.


Comments


bottom of page